Automat, Edward Hopper, 1927 |
Il était presque l’heure de fermer et déjà le
patron comptait la recette du jour dans l’arrière-salle quand la sonnette de la
porte retentit. Un dernier client. Pas n’importe quel client. Je l’attendais.
Elle s’est engouffrée avec une bourrasque
glaciale. Elle parait toujours si fragile, presque chancelante Je ne sais
comment elle peut tenir debout et c’est avec soulagement que je la vois
s’assoir.
Je la connais sans réellement la connaitre.
Je ne fais que deviner. Cette jeune femme si élégante, apprêtée comme pour les
grands soirs …Elle ne va pas dans ce décor. Elle ne devrait pas être dans
ce café de gare un dimanche soir. Et pourtant. Cela fait trois mois qu’elle
vient. Toujours le même jour. Toujours la même heure.
Elle ne lève jamais les yeux vers moi quand
elle me demande d’une voix étranglée un café noir. Ses pensées sont ailleurs…
Loin d’ici…Loin de moi. Comme toujours. Sans doute pense-t-elle à celui qu’elle
a vu disparaitre dans le train, à celui qui l’a abandonné seule sur le quai et
qui reviendra samedi prochain…et qui repartira. Encore.
A quoi pense-t-elle ? Au froid qui la
dévore et qu’aucun café, chapeau ou fourrure ne peut atténuer ? Elle serre
son poing ganté mais sa main nue qui se saisit de la tasse tremble. L’âcreté du
café n’est rien comparée à cette émotion contenue qui lui serre la gorge.
Et moi, comme tous les dimanches, je la
regarde et je n’ose lui parler. J’aurais tant de choses à lui dire.
Déjà elle laisse une pièce qui roule en
cercle sur le marbre avant de tomber. Elle remet son gant et elle n’est plus
qu’une ombre dans le froid de décembre. Je soupire. Je prends sa tasse. Je la
regarde s’éloigner. A dimanche prochain.
Carole Guéville
(> lire d'autres textes écrits à partir d'un visuel)
Poème rythmique
Elle. Seule. Noir. Café de gare.
Soupire. Encore. Abandonné.
Bourrasque. Etranglée.
Disparaitre. Loin. A dimanche prochain.
Chemin poétique
Je l’attendais
sans même y penser.
Elle est la cliente qui me hante.
Je lui sers comme toujours un café.
Elle est seule, perdue, chancelante.
Quand j’oserais presque l’aborder, elle m’a
déjà abandonné.
Carole Guéville
Mon
cher frère,
Je
t’écris dans l’urgence. Nous partons cette nuit. Je ne sais pas même si cette
lettre t’arrivera ou si j’aurai la joie de revoir bientôt. Les troupes
allemandes sont à trois jours de Senlis. Il nous faut fuir. Fuir ce pays
d’adoption, fuir l’armée de mon pays de sang. L’ironie de la situation pourrait
me faire sourire, mais Martha ne cesse de s’agiter. Elle a peur pour les
enfants. Je la comprends.
La maison est un véritable chaos et c’est avec grande peine que je dois y laisser mes chers tableaux. Nous ne pouvons prendre l’essentiel et Martha me répète que cela nous encombrerait trop. Je sais bien qu’elle a raison. Si seulement j’avais pu prévoir notre départ, nous n’en serions pas là. Mais tout va si vite. Il me semble que c’était hier encore que nous nous promenions dans les bois alentours, regardant nos filles courir et jouer à chat. Cette insouciance me manque. C’est sans doute ce que nous avons perdu de plus précieux.
Je
m’inquiète beaucoup au sujet de notre employée Séraphine. La brave fille ne
comprend qu’à peine ce qui se passe. Que va-t-elle devenir ? Je me suis
beaucoup attaché à elle en deux ans. Je l’ai surprise à peindre sur une boîte à
chapeau et je te le jure Heinrich, cela me fit l’effet d’une révélation. Je ne
sais si elle entend mot en technique, si elle a jamais entendu parler de Vinci,
Michel Ange, Vermeer ou Manet, mais qu’importe ! Je la crois touchée par
une grâce dont je ne peux qu’admirer les effets. Elle peint non par plaisir,
non pour satisfaire telle ou telle commande ou règle artistique. Non. Elle
peint par instinct, par nécessité, comme on respire pour vivre. C’est son cœur
qui guide sa main, sans aucune retenue. Elle peint des bouquets
extraordinaires, des arabesques florales, des feuilles arachnéennes. Les
pétales ressemblent à des plumes et ses fleurs à des oiseaux venus d’ailleurs.
Ce sont des méandres harmonieux, des embrassades florales d’une générosité qui
ne m’a pas séduit. Non. Cela m’a envouté. Ce ne sont pas des fleurs cher frère,
que j’y vois. C’est une invitation au rêve, un retour vers l’enfance, vers
l’essentiel oublié, un message que cette âme charmante nous adresse par le
moyen le plus surprenant pour une femme de sa condition : l’art. Et ces
couleurs ! D’un rouge pénétrant, d’un bleu satiné, des verts comme il en
existe que dans des pays lointain
que la pauvre enfant n’a jamais vu. Ces couleurs dévorent tous les
supports de la vie quotidienne qui lui tombent sous la la main. J’ai bien tenté
de l’encourager, de lui apporter le matériel qui lui faisait défaut. Mais une
fois parti, qu’adviendra-t-il d’elle ? De ses œuvres, La reverrai-je un
jour ? Cela me serre le cœur.
Martha me dit qu’il est temps de remettre cette lettre si je veux qu’elle parte aujourd’hui. Nous serons, je l’espère, déjà loin demain. En sécurité. Les malles s’accumulent autour de moi. Nous partons. Je ne sais si nous reviendrons un jour.
Affectueusement.
Wilhem
Uhde
Carole Guéville
MIMOSA
Dans la rue, mille fois parcourue, si proche de l'école.
Le froid transperce chaque parcelle de peau et glace le
sang.
Le vent balaye tout, à la lumière si faible.
L'été est si loin.
Mais là, dans ce
bleuté hivernal, un hamas de petits éclats jaunes.
Une fleur dans un désert de glace ?
Que fait-il là ?
Ressemblant à un sapin de noël bien vert, décoré de jaunes.
En février, c'est un
peu incongru !
Mais il rayonne. Il embaume. Il
enveloppe de son odeur si douce, si envoûtante et à la foi entêtante…
Perdu en ville, seul dans un
jardin ou en champs, sur les flancs du Taneron, on ne peut distinguer la
rougeur du sol qui le nourrit…
Présent sur les corsos fleuri
parmi l'orange, le citron, le jasmin.
Il égaye les bouquets jetés à la
foule, décore un corsage de danseuse provençale.
Il laisse des traces sur les
mains pour qui ne le connaît pas !
Les enfants l'utilisent pour
dessiner sur le sol.
La Provence. La lavande ou le
jasmin. Mardi-Gras et les oreillettes à la fleur d'oranger.
Les ruelles ocres étroites ou
les grandes avenues aux palmiers bien rangés.
On
t'oublie. Mal aimé dans les parfums de ces dames. Pas présent sur les cartes
postales.
Vendu sur le marché ou un brin
séché et caché dans un livre.
C'est un retour en enfance.
Un bel arbre remplaçant le
soleil, l’hiver.
Cathy
J.
Souvenir parfumé
Il y a tant de parfums. Il y a tant de langages.
Entre ces odeurs qui voyagent en nous, il y a
souvent une image qui se glisse, et nous rappelle des instants. Des
larmes. Des sourires. Des frissons ou
tout autre chose. Le parfum qui se promène aujourd’hui entre mes lignes n’est
pas le plus rare. Ni le plus sensuel. Il n’a rien de très particulier, en
dehors de ce qu’il signifie pour moi.
Il se répand dans les maisons comme un fantôme
caramel et s’immisce sous les portes des chambres. Dans les fissures des murs.
Dans les recoins les plus secrets. Là où se logent les enfants dans les parties
de cache-cache. Il réveille les dormeurs. Annonce, comme une horloge, le début
de la journée. Avec son carillon
silencieux. Silencieux comme un morceau
de brouillard. Il rassemble.
Quand il vient à moi, je l’accueille toujours d’un
sourire. Il n’a pas de pieds ni de jambes et pourtant il sait monter les
marches. Arpenter les couloirs. Il lèche les tapisseries comme pour se cacher.
Il n’y a pourtant aucun mal à se répandre pour annoncer le partage d’un petit
déjeuner.
Je me souviens des premières années de ma vie, où
mon seul droit était d’ouvrir en grand mes narines, et d’écouter ceux qui, dans
la cuisine, avaient le privilège de le partager. J’écoutais. Je restais allongé
en me saoulant de leurs voix profondes. Celles de mes tantes, de mes oncles, de
mes parents. Ces voix qui rendaient mon
enfance unique et dans lesquelles se noyait le parfum du café au lait. Je vous
l’avais dit. Celui dont je vous parle n’a rien de sacré. Et pourtant…
Il est né pour moi dans la maison familiale. Et
après l’avoir tellement de fois reniflé, un jour on m’a autorisé à le goûter.
Alors je me suis plongé au milieu de tous. Je me suis assis. Je l’ai tout
d’abord regardé. Sa fumée, si épaisse, si parfumée, si délicate, m’as pris dans ses bras comme le plus lointain des souvenirs. J’ai posé mes mains
sur le bol dans lequel il oscillait d’un seul bloc et tout en fermant les yeux,
je me suis contenté de respirer. Seulement respirer.
Finalement ce jour-là je ne voulais pas perdre ce
trésor. Celui de deviner. Imaginer son goût sous toutes ses formes avait été un
tel parcours. Je ne me donnais pas le droit de perdre ce privilège.
Depuis ce jour, lorsque le matin son parfum vient à
nouveau à l’étage pour me réveiller, je suis
le plus heureux des innocents. Maintenant que certains êtres chers à mon
cœur ne sont plus. Que les années ont naturellement balayé certaines vies… eh
bien j’entends encore leurs voix se promener entre les vapeurs du café au lait.
Pascal K.
(> lire d'autres textes écrits à partir de parfums)
Consigne :
imaginer la trame d’une pièce de théâtre (lieux, personnages), écrire le résumé
et le début de la pièce
Titre : Les meilleures amies au
monde
Personnages :
·
Mathilde : celle qui reçoit.
Divorcée. Réussite professionnelle. Elle est beaucoup dans l’apparence, centrée
sur elle-même, n’écoute pas les autres qua lorsqu’ils sont d’accord avec elle.
Voyage souvent pour son travail.
·
Alice : timide, réservée,
anxieuse. Elle est effacée. N’a pas vraiment de vie sociale Et n’a pas
l’habitude de sortir. A une mauvaise image d’elle-même et une trop bonne image
des autres. Le regard extérieur la paralyse. Célibataire, avec 3 chats.
·
Sophie : femme au foyer. Elle a
rencontré son mari quand ils étaient en 1ere année de médecine. Elle a arrété
ses études quand elle est tombé enceinte. Elle soutien beaucoupson mari. Elle a
3 enfants ( 2 garçons et 1 fille) qui sont le cœur de sa vie. Elle n’a pas de
temps pour elle-même. Cette sortie est une occasion inespérée pour elle de
sortir de sa sphère familiale
·
Alexiane : l’absente. Centre du
groupe d’amie dès son arrivée en cours d’année en seconde. La plus populaire de
la classe. Elle ne vient pas
Temps :
De nos jours. En automne, il fait
frais, il y a un peu de vent ( joue sur les habits, l’attitude en extérieur).
Commence en début de soirée et dure le temps de la soirée donc c’est quasiment
en temps réel.
Espaces :
La scène est divisée en 3 espaces :
la rue devant l’immeuble, l’intérieur de l’appartement et le balcon en
avant-scène. Il faut pouvoir voir ces trois espaces en même temps parfois.
Résumé :
Des amies de lycées qui se sont perdues
de vue depuis 15 ans, se retrouvent pour un diner chez l’une d’entre-elles.
Mais celle qui était le noyau de ce groupe d’amies à l’époque ne vient pas.
En conjecturant sur cette absence et en
se remémorant leurs anciens souvenirs, les trois trentenaires révèlent au cours
de ce diner, au-delà des faux-semblants, les frustrations, envies et rancœurs
des unes et des autres qui ont gangréné leur amitié et que le temps n’a fait
qu’accroitre.
C’est
le soir. Il fait déjà sombre. La rue est éclairée par un lampadaire. On voir
une façade d’un immeuble type Haussmannien avec un numéro (22bis) et un
digicode. Il y a un trottoir. Alice est seule sur scène. Habillée avec un
trench coat trop grand pour elle, de la même couleur que la façade de
l’immeuble. On ne la remarquerait presque pas. Elle a les cheveux tirés en
arrière. Elle a un grand sac, trop grand pour elle. Elle attend sur le
trottoir. Elle regarde sa montre plusieurs fois. Elle soupire. Elle montre des
signes de nervosité. Elle regarde le numéro.
Alice : 22 bis. C’est bien ça (regarde le digicode) et pas de nom,
c’est pratique. Pourtant ça doit bien être là (Elle fouille dans son sac vaguement, mais comme il est trop grand,
elle finit par le posé par terre et en sort deux trois objets qui l’encombre
dont un livre. Elle finit par en extraire son téléphone portable, pianote
dessus pour retrouver le message qu’elle lit) ‘Vendredi 28 à 20h. 22 bis
rue de la Cavée Verte. J’ai hâte de te revoir. Mathilde ‘ Hâte de me
revoir ? (regarde sa montre) 8h
moins 5. Encore en avance. Je suis TOUJOURS en avance (remets tout en vrac dans son sac). J’essaye à chaque fois, je me
dis ‘Non ma petite Alice, ne sois pas ridicule, prends ton temps !’
J’essaie toujours d’arriver en retard. Et voilà. 5 minutes à attendre. Et puis,
c’est pas poli d’arriver à l’heure, non non. Il faut toujours laisser au moins
5 minutes de plus pour que la maitresse de maison sois prête. Je l’ai lu
quelque part…total : au moins 10 minutes à attendre (elle relève son col, elle a froid). C’est long (elle marche de long en large, elle regarde
à plusieurs reprises sa montre puis s’arrête tout à coup, comme si elle venait
d’avoir une révélation) J’aurais dû acheter des fleurs. Ou une bouteille de
vin. Ça se fait ça. Stupide, stupide, stupide ! Oui mais…maintenant c’est
trop tard. Et puis je connais pas le quartier moi (elle regarde vers la porte) qu’est-ce qu’on va penser de
moi ?
Entrée
de Sophie. Elle marche un peu vite et maladroitement à cause de ses talons,
elle se tord un peu les chevilles. Elle est habillée en noir, avec une robe,
des bijoux. Elle se veut élégante mais ne l’est pas. Elle tient un gros bouquet
de fleurs jaunes qui a un peu souffert dans le transport.
Sophie : (essoufflée) Ah/ Enfin !/ J’ai cru que je ne trouverai jamais
(aperçoit Alice mais n’y prête pas attention dans un premier temps puis la
regarde de nouveau avec insistance cette fois. Elle hésite un peu) Alice ?
(Alice se retourne) Alice !!! (Elle va vers elle, souriante, enthousiaste,
trop)Sophie ! Sophie Niclos (elle
la prend dans ses bras. Alice semble mal à l’aise) Tu/n’as/pas/changée.
Alice : (en aparté) Ça fait toujours plaisir (à Sophie, ironique) Toi non plus.
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