samedi 27 décembre 2014

Formes courtes


Ciel, soir, mer, brise poétique
Soleil couchant, plénitude
Vacances, détente
Espérance, rêve, imagination
Cheveux blancs, regard droit
Rides profondes
Sa vie a été rude
Soleil brillant
Je ferme les yeux
Je rentre en moi
Hélène


Je m'étais perdu dans le market
Où des gamins couraient entre les stands

De guerre lasse me suis assis sur ma valise
Au beau milieu du labyrinthe

Entre safran, dattes et henné
M'attendait quelque Minotaure.
Laurent



Juste pour mes mains
Sara, belle métisse
Tes deux petits seins
Mathurine

Inventaires Inventions


La liste de mes animaux

Bâtard, pure race, mes chiens :
Pâris, son frère s’appelait Personne. Black, labrador antimilitariste
Ganja, teckel extra. Cachemire, la folle, Gamine, la perle.
Mes chats :
Moon, 23 ans d’amour. Minho et Minha, assassinés. Pinga qui m’attend.
Poissons rouges, canaris, grenouille suicidée d’un balcon à Aubervilliers.
Lapins, l’un appelé Sartre parce qu’il louche.
Mon loup imaginaire que j’emmène partout. Enfance. Les chevaux que j’ai montés.
Les biches, renards, mésanges, écureuils, rouges-gorges…
Inès-Marie Ambre

29 novembre 2014


Inventaire d’un déplacement en train



  1. Le réveil
  2. L’heure du train
  3. Le parking
  4. La gare de départ
  5. Les billets de train
  6. Le quai
  7. Le train
  8. L’arrivée dans la rame
  9. Les voyageurs
  10. Les arrêts successifs
  11. Le chef de train
  12. Le contrôleur de billets
  13. La vue par la fenêtre
  14. L’arrivée en gare de destination



Je prends le train de 8h16 en gare de Pont-Sainte-Maxence, pour me rendre à Paris.

Je choisis la place côté fenêtre. Le paysage défile, il n’est jamais le même.
Le train longe la rivière Oise d’où monte une légère brume ni blanche, ni grise.
Rieux Angicourt, Villers-Saint-Paul, le train file vers Creil où il s’arrête quelques instants.
Il repart lentement, je vois les jardins ouvriers au bas de la côte.
Les bords de l’Oise sont encore verdoyants et on aperçoit sur les hauteurs de Creil les tours d’habitation et le grand hôpital.
Chantilly, son viaduc, ses maisons cossues, le train ne s’arrête pas, il file dans la forêt aux couleurs automnales.
Nous passons Orry-la-Ville et nous entrons dans le Val d’Oise.
Des champs à perte de vue, des immenses pylônes EDF, des avions dans le ciel, on devine l’aéroport de Roissy.
Saint-Denis est reconnaissable à ses grandes cités HLM, puis le Stade de France, La Plaine Saint-Denis, La Tour Pleyel.
Nous arrivons en gare du Nord à 8h59. Le train est à l’heure.
Le chef de bord nous souhaite une bonne journée.
Les billets n’ont pas été contrôlés.
Hélène
29 novembre 2014



Terreur et féérie

La retraite de Russie :
Le froid a tendance à uniformiser les ressentis...
Dans le souvenir d’une poésie
Ou à cheval dans un paysage dégarni
Le gel a figé la vie...

Quelle idée de vouloir se lancer dans de mauvaises rimes alors que l’instant présent est précieux tel qu’il est.
Ballotée par le pas retenu du cheval craignant de glisser sur le verglas, j’admire ce paysage enchanteur.
Le froid piquant a transformé le décor en dentelle arborée. Une couche ouatée blanche vient adoucir les lignes brutes des arbres et des piquets.
Seul le souffle du cheval vient animer ce moment irréel et magique à l’heure où le ciel se couche.
Engoncée dans une vareuse militaire, j’imagine l’angoisse glacée qu’a vécu l’armée de l’Empire dans sa débacle.
Le froid permet deux ressentis : terreur et féérie .

Albane Vincent 


Ma liste façon Perec

- Noëls en famille
- Trains insolites
- Rencontres imprévues
- Rêves (enfouis / enfuis)
- Rendez-vous manqués
- Rencontres inoubliables (Albert Jacquart, Simone Veil, Jean Mallaury)
- Profs (aimés / détestés)
- Noëls déçus (peu de jouets)
- Départs en avions - trains - bateaux (délires anecdotiques)
- Travaux maison (liste à mettre sur un mur pour mari distrait)
- Choses à ne pas remettre à demain (donc arrêter de procrastiner)
- Mots d'amour pour les proches (après, trop tard)
- Anniversaires à souhaiter (liste à mettre sur un mur pour mari oublieux)
- Mes envies à réaliser sans lui
- Conseils pour mes enfants (en sachant pertinemment leur inutilité)
- Des mots à dire dans l'instant (après, trop tard)
- Des gens toxiques qui m'entourent (les jeter au panier !)
- Mes gros mots préférés (juste pour retrouver mes 10 ans)
Mathurine

Automne 1916


Ils sont morts par dizaines de milliers, par centaines de milliers, le compte final approximatif est de 1.400.000 morts pour la France, sur des champs de batailles.
Ils sont Français, Anglais, Africains, Australiens, Canadiens, Terre-neuviens, Ecossais face aux soldats allemands.
Ils sont âgés de 16 à 37 ans.
Le champ de bataille est immense avec des monticules, des creux, des tranchées, des haies de barbelés, de la boue, beaucoup de boue. Il est parfaitement organisé, les soldats sont face à face et peu de distance les sépare.

Avec les brumes du matin il est difficile de distinguer les lignes ennemies.
C’est l’automne, la pluie, le froid, le manque de sommeil engourdissent les soldats.
Puis les obus, les bombes, les gaz les paralysent, les tuent.
Le bruit est insupportable, effroyable, terrifiant.
Ce sont des hommes, ils souffrent, ils pleurent, ils appellent au secours en silence, leur mère, leur femme, leur famille.
La vie quotidienne de ces soldats est rude, pas d’eau courante, pas de sanitaires, les rats sont leurs compagnons de tranchées.
Les odeurs sont immondes.

Les blessés sont évacués vers des hôpitaux de fortune, des morts seront rendus à leur famille et les autres non retrouvés restent enfouis dans ces champs de bataille.
Si leur plaque d’immatriculation de soldat est retrouvée, on peut confirmer la mort, pour les autres, ils sont manquants dans les cimetières, mais leur noms figurent sur des stèles comme «disparus».

Ce paysage panoramique gris-noir, lugubre, nous glace le dos.
Pourquoi tant de morts ?
Pour qui ?
A qui a profité cette guerre ?

Automne, les bombes, les cris, les douleurs, les éclairs, le feu, les gaz, les hommes - insupportable pour les jeunes en képi en première ligne. Les morts de toutes nationalités, par obus - et avec cette pluie quotidienne, les rats, les souffrances, les tués universels, dans les voies réservées au wagons ils n’étaient pas xénophobes - ils ferment les yeux dans cette zone.
Hélène
29 novembre - 20 décembre 2014


lundi 20 octobre 2014

Ecrire à partir d'une photographie...


1- Six gobelets à café vides. La mine des mauvais jours. Rendez-vous un lundi matin. Je suis rentré à reculons dans son bureau… Nécessité fait loi, j’ai trop besoin que soit rémunérée cette commande. J’affronte donc le bougon avec l’air assuré et réjoui de celui qui est prêt.
Mais je ne suis pas prêt ! Je n’ai pas réussi à choisir. Choisir, c’est renoncer. C’est d’ailleurs le problème qui se pose à moi à chaque nouveau contrat. Mais d’habitude, quand j’arrive avec mes planches, d’autres le font à ma place. Balayant des heures de travail d’un revers de doigt que je vois, il est vrai, comme un couperet méprisant mais au moins, on sélectionne pour moi.

Cette fois, le bougon m’avait prévenu il y a trois mois. Condition sine qua non : venir avec mon choix de photo. Comment lui dire maintenant que chacune est une rencontre ? Que chacune est précieuse ? Qu’elle a saisi le présent comme seule le peut une photographie ? Comment lui faire entendre que se trouvent aussi tout un passé et même un court futur dans le cas précis de cette commande-ci ?

Eric Dexheimer
Oui, mais il s’en fout ! Pour une brochure, pas de quoi jouer les artistes photographes frustrés. Alors, je m’ébroue. Je plonge les doigts dans ma mallette. Saisis la planche des photos du troisième jour, celles de Madeleine. Son beau visage ridé est tourné vers la fenêtre. Le soleil caresse ses cheveux blancs. Une série où elle apparaît dans sa position favorite. Elle a les jambes ramenées sur le siège, une position étonnamment juvénile. Elle écoute le chant des oiseaux. Elle m’a oublié. Je pointe mon doigt vers celle où elle sourit. « Oui, ce sera parfait pour vanter les mérites de la Résidence des Charmilles. »

Le bougon est d’accord. « Le fauteuil a l’air confortable. Le décor est propret. » Assène-t-il.

Il n’est pas que bougon. C’est aussi un crétin.

Inès-Marie Ambre
d'après une photographie d'Eric Dexheimer



2- Les neurones s'agitent dans la nuit qui remue. Sur fond bleu, l'arbre élance ses branches dans tous les sens, les synapses se chevauchent mais le tronc reste ferme, accroché à ses certitudes. L'influx nerveux se promène entre les secousses, se glisse entre les interstices de la pensée frémissante, à l'orée du  Grand Vide dans la nuit revenue.


Que dit le rouge entre les branches noires ? Dit-il déjà qu'il faut mourir, dit-il encore qu'il faut souffrir ?

Le bleu est dense, le rouge est vif, l'arbre résiste au vent de l'effroi. Dans la tempête, les pensées se bousculent, les souvenirs se télescopent, les passions d'autrefois se déchaînent et cherchent à retrouver la joie. Mais dans ce tourbillon glacé, combien de temps le tronc pourra-t-il résister ? Les vieilles douleurs sortent du bois de l'oubli et balaient tout sur leur passage. Les synapses en folie se désagrègent, les branches ploient, les vagues rouges déferlent sur la conscience abîmée. Il n'y a plus personne aux commandes : c'est la nuit.


Zao Wou-Ki, La Nuit remue
Mais lentement revient le calme et des bribes de douceur où l'on se souvient du printemps, des amours et du goût des cerises. Bientôt le jour reviendra. Il revient toujours.

Inutile de se souvenir des terreurs du soir, des voix chuchotant leurs chants de mort. Il faut profiter du soleil et goûter aux fruits mûrs de l'été. Mais la nuit revient et les neurones reprennent leur ronde folle, accrochés à des rêves, fracturant les paupières du matin. 

Fumées rouges sur fond bleu, esprit égaré au bord du précipice. La nuit remue dans l'espace du dedans. Les images ont parfois la beauté des enfances mais les vents du cauchemar portent les voix de l'Ogre et du Grand Méchant Loup qui dévore la Mère-Grand.

Dans le bleu sombre, la peur grandit et les flammes parlent d'un éternel enfer. Le tronc de l'arbre résiste encore mais au prochain orage, il laissera des branches. On en laisse toujours. C'est la nuit de l'esprit.

Cathy
d'après une reproduction de Zao Wou-Ki


3- C’est après que l’infirmière t’aura changé ton pansement, aura ri d’une de tes plaisanteries avant d’aller secouer la couverture grise à rayures de la paillasse attenante à la tienne –


Après que, d’une pichenette précise, ferme et douce à la fois – experte, quoi – elle aura vérifier le niveau de la perfusion de l’amputé du lit du fond (les deux jambes – une mine) –

Après que Robert aura approché sa chaise de ton lit – que tu l’auras vu s’asseoir là doucement, presque craintivement, à contrejour, dans ce halo de soleil chaud qui lui donne l’air d’un ange (qu’il écarte ses bras et il s’envolera, c’est sûr !) –

Après qu’il t’aura allumé ta cigarette en plaisantant sur la fumée bleutée qui lui rappelle l’encens de son enfance passée dans les églises, déjà –

Après que le major sera venu glisser ton paquetage sous ton lit sans un mot, sans, dirait-on, oser ne serait-ce que croiser ton regard, qu’il y aura eu le bruit de ses souliers ferrés jusqu’à la lourde porte au fond de la nef, le grincement des gonds, et le silence un peu plus lourd qu’avant –

Après que, t’étant tourné vers le maître-autel, tu auras surpris l’infirmière te regarder en soupirant comme un piéta en larmes serre le corps lourd de son fils –

Là – là exactement, au moment même où tu inspireras la première bouffée de tabac blond, la sentant s’épanouir dans ta bouche, ta gorge, tes poumons, prendre tout l’espace de ton corps, jusqu’à tes membres qui se délasseront, croisant à travers tes doigts tenant la cigarette, le regard de Robert toujours à contrejour sur sa chaise devant toi, l’ange de l’Annonciation venu t’apporter la Nouvelle depuis le rayon de soleil qui l’a fait atterrir jusqu’à toi, qui lui caresse chaudement la nuque, les omoplates – là que tu comprendras que c’est maintenant que tu repars au front.

Robert triture son paletot, ne sait pas comme te dire ce que tu as déjà compris.
Tu l’aides : « J’y retourne, c’est ça ? »

Tu vois le visage de Robert tenter d’articuler un mot, mais sans y parvenir ; son menton est pris d’un tremblement qu’il ne peut contrôler, sa bouche s’élargit, son front se plisse, ses yeux n’existent plus, de l’eau coule sur ses joues : c’est tout son corps qui se fige dans un spasme de douleur. L’annonciation vire en apocalypse.
C’est toi qui pars, c’est lui qui pleure.

Toi, tu es déjà ailleurs : la boucherie te réclame et tu n’as plus de larmes.

Laurent Contamin
d'après une photographie de Robert Capa



4- Ça y est ! Ils sont là... réunis !
Depuis combien d’années ai-je rêvé ce moment ? 2, 3 ans ?
Que de contraintes surmontées, de démarches administratives, de visas demandés, de quotas estimés, de bakchichs....
Sans compter les contraintes de transport, le matériel à transbahuter de l’aéroport au village khirgize.....
Et tout ça n’est rien quand on pense à la réticence du chef de famille, trop inquiet de l’exploitation que l’on fera de son image, de sa tribu, de sa vision de la vie mongole.
Heureusement, j’ai pu le rassurer, l’amadouer en échangeant avec lui sur ma passion des chevaux que je photographie tout autour du monde.
Yann Arthus Bertrand
Et quand il a compris tout le bénéfice qu’il pouvait tirer de cette rencontre, alors ça a été comme une révélation.
Je l’ai vu dans ses yeux, il y eu un avant... Il y eu un après...
C’est alors qu’il m’a parlé de cette race de petits chevaux mongols qui a failli s’éteindre, et de sa volonté de la faire perdurer - mais aussi de son inquiétude quant à l’avenir de l’espèce.
Et maintenant, je suis là, derrière mon appareil de photo, au milieu de nulle part dans un pays désertique et froid, mais animé d’une telle chaleur envers ces être vrais, entiers, qui font corps avec leurs petits chevaux et portent toute leur histoire dans leurs tripes.
C’est grandiose, juste magique de pourvoir fixer en un centième de seconde l’histoire de tout un peuple.
Albane Vincent
d'après une photographie de Yann Arthus Bertrand


5- Mélange de couleurs

Melting-pot irisé. Variantes de luminosités.
Blanc sur noir. White on black. Ton charbon sous teint de neige, mais en pleine chaleur. Et au milieu : l’orange
Flash flashy. Ivresse de fluo. Tel un paquet de tic-tac, sans particules vertes, juste oranges. Tel un tabouret diabolo vestige des années 80.
Téléphone orange, comme celui pour déclencher une guerre atomique, à cadran, loin des écrans tactiles des Smartphones d’aujourd’hui. Un téléphone pour téléphoner, échanger, parler et non s’isoler.
Aborigène à peau noire, talquée de blanc, comme le Joker dans le Batman de Nolan.
Chapitre « Aborigènes » - p. 295
tiré de « Peuple et civilisation en danger
(Survivre à l’ère de la mondialisation) »
– H.F. Fullmann
Les cheveux bien coiffés alors qu’on imagine mal une machine à permanente en pleine forêt amazonienne. De même la moustache bien taillée, pourtant loin de la civilisation, enfin, de notre civilisation, notre électricité, notre confort moderne. Lui aussi vit dans une civilisation, même si elle n’a pas les mêmes codes, le même mode de vie, c’est une civilisation quand même.
Le regard semble inquiet ou pensif, orienté sur la gauche donc faisant appel au passé ou à l’imagination, je ne me souviens plus la parole des Experts. Soit il est plongé dans sa discussion, soit la personne en face n’ayant pas décroché, il attend. Soit dans sa cabine « publique » à l’air libre, il y a une file d’attente.
D’autres personnes de son clan font la queue-leu-leu pour espérer atteindre le téléphone, un téléphone libre pour se raccrocher à leurs proches, à un monde ailleurs, à une autre vie peut être ? Celles d’enfants qu’ils n’ont pas voulu priver de modernité, qu’ils n’ont pas voulu isoler du reste du monde, qu’ils ont voulu ouvrir à une éducation, à un confort qu’on ne leur a surement pas proposé.
Une vie qu’ils n’ont pas pu choisir. Pas de libre arbitre entre tradition et… un autrement.
Maintenant est-ce qu’il regrette ?
Un enfant dans l’Autre Monde, un certain Lopez qui promène des stars. Depuis le temps, avec toutes ces occasions, il aurait pu changer.
Mais pourquoi ?
Il aime sa forêt, il aime sa tribu. Il aime, le vrai et pas le superflu, le trop plein. Pourtant, avant d’imaginer tout cela, d’en voir les limites, il faudrait l’avoir vécu. Et lui n’a pas conscience de cela car on ne raconte toujours que ce qui va, ce qui est beau pour exprimer la gratitude d’avoir pu choisir une vie alors que nos ancêtres en ont vécu une autre.
« Merci chers parents ! »
Un cliquetis, ça y’est, il raccroche. Il reprend sa sacoche, peut être une sarbacane – cliché ? – et pourquoi pas une bouteille de coca payée à l’échoppe du coin pour prendre une gorgée de modernité avant de se replonger dans la Nature, sa foret, le monde du silence et de l’esprit. Sa famille. Son clan.
C’est fini. Je repose l’appareil. Je range mes affaires. Je vais reprendre ma jeep pour retourner auprès des miens. Dans mon confort, ma modernité.
Mais auparavant, j’irai bien à l’échoppe du coin, partager un coca avec cet aborigène pendant que nous sommes tous les deux à la croisée des chemins, le croisement de civilisations, la rencontre de deux mondes modernes.

Fabien