dimanche 26 avril 2015

Parcours de vie

      En Ethiopie           

             Belle inconnue, j’aime ton visage, ton regard surtout, tourné vers la lumière, un visage un peu triste chargé d’attente, d’espérance peut-être.

            Je ne sais ce que tu attends adossée à cet immense mur brut qui accapare la lumière de la fenêtre, accordant à ta frimousse juste la part nécessaire aux reflets de tes pensées.

            Qu’attends-tu ? Qu’espères-tu ? Quel A-venir traversera l’ombre des barreaux vers lesquels tu tournes ton regard. Tu attends… à la fois confiante et inquiète.

            En ce lieu de solitude, te sens-tu prisonnière, vêtue de ce camaïeu de roses : Un châle fleuri rehausse le grain de ta peau brune faisant jouer ombres et tâches de lumière sur ton visage….

            As-tu froid dans ton gilet prune ? Ta main abandonnée souplement sur ton genou, semble dire le contraire… Tu attends.

            Assise sur un lit garni d’une cotonnade froissée dont l’imprimé prolonge le foulard qui dissimule ta chevelure, une part de ton intimité tenue secrète,  peut-être selon la tradition de ton pays ?… Tu attends …


            Quel verdict inconnu, quel évènement heureux  augure ce silence qui t’enveloppe ? Es-tu la promise de quelque homme dont tu ne connais pas encore le visage  et pour lequel tu n’oses encore rêver de bonheur ?…
Maïté

Je rêve

Sur la photo, elle se tient droite du haut de ses quatre ans. Il me semble qu’à l’époque, on empesait les vêtements car sa robe bien blanche, elle aussi tient tout droit. Elle a des souliers de petite fille sage et bien élevée avec un bouton sur le côté. Un grand nœud ferme le bandeau qui retient ses cheveux longs. Bien que la photo soit en noir et blanc, on devine que ses yeux sont clairs. Son regard est serein. Elle fixe le photographe avec assurance.

Mais le saviez-vous ? Son nom est clairement juif. Même si, prononcé en français, il signifie banalement « hier ».

Hier justement, on a emmené son oncle et son père qui dirigent l’usine. Sa maman ne dort plus. Sa maman qui lui a dit : « Si ! Tu feras cette photo et papa sera fier quand il rentrera. »
Sur la photo, elle a grandi. Elle a maigri. Les années ont passé. Tous ne sont pas rentrés.

Sur la suivante, elle est au côté d’un homme. Son mari, je crois. On m’a dit qu’ils s’étaient beaucoup aimés. Que pour lui, à l’époque, ce n’était pas facile d’être « l’époux de Madame ». Et qu’elle avait feint de lui obéir bien des fois. Oui, il paraît qu’en ce temps-là, les femmes savaient encore donner l’impression que l’homme est omnipotent et que la femme (même forte) se fait un devoir de lui obéir.
Car le saviez-vous ? Dans la France d’alors, une femme demandait l’autorisation de travailler à son mari et n’avait pas de compte en banque.

Sur la photo, elle se dresse seule dans l’hémicycle. Et ce qui me frappe, c’est qu’elle semble encerclée uniquement par des hommes. Elle se dresse face à eux, un peu comme sur sa photo d’enfance, fière et traquée. Elle tient un papier mais ce sont eux qu’elle fixe de son regard clair. Elle va parler. Elle affronte même les hommes de son propre camp politique. Elle va plaider, plaider pour toutes les femmes. Elle va gagner, elle va gagner pour toutes les femmes.
Vous le savez maintenant. C’est d’elle dont je parle car en notre temps d’apparente parité, je n’oublie jamais ce que nous devons à toutes ces femmes. Les actuelles ministres, mes sœurs en féminité, me désolent bien souvent. Elles sont si fades…

Je rêve d’une nouvelle Simone qui se dresserait tapant du poing sur la table. Je rêve d’une femme Présidente. Enfin, je rêve quoi !
Inès-Marie

                                    Petite biographie

            Au fond d’une vieille boîte à chaussures  usée par le temps, gisait un tas de photos sépia dont la poussière des années accentuait l’ancienneté.

            Juliette, fermant les yeux, y plongea une main hésitante comme elle l’aurait fait pour tirer un lot dans l’urne de la kermesse du village.
            Tenant une carte qu’elle caressa du pouce, elle ouvrit lentement les yeux tout en continuant silencieusement de son pouce  à effacer la poussière de cette photo du début des années 1900 :

            Un gros chien est attelé à une carriole stationnée devant un bâtiment, certainement une école, où des enfants derrière la fenêtre observent la scène.

            Près de la carriole, une femme d’une cinquantaine d’années regarde fixement devant elle, une main posée sur la ridelle du chariot.
             Juliette tente d’identifier l’héroïne emmitouflée dans une grande cape noire qui alourdit la silhouette, le visage bien rond, peu expressif sous sa capuche ; ses traits sont calmes, juste un peu figés, peut-être par le froid dû à la neige qui recouvre le sol.

            Juliette cherche des indices… C’est forcément quelqu’un de sa famille, une ancêtre. Ce regard noir, elle l’a déjà vu …

            La carriole est munie d’un banc avec dosseret ; à l’emplacement des pieds gît une boîte en métal. Elle remarque une grosse sacoche en cuir semble-t-il, portée en bandoulière par … Ca y est ! c’est son arrière grand-mère dont on lui a si souvent parlé !
Une femme courageuse qui a dû remplacer son mari facteur en ce début de siècle.

            Dans la région de Pithiviers,  à cette époque, on portait le courrier de ferme en ferme, à pied et ce, par tous les temps, ce qui avait valu à ce malheureux Jules d’être amputé des orteils.

            Vaillante, sa femme – avec l’accord de l’Administration , magnanime – avait pris le relai pour les deux années manquantes afin de valider une retraite aussi attendue que méritée…
            Comme ses jambes, déjà criblées de rhumatismes ne répondaient pas à ses attentes, on lui avait aménagé cette voiturette ? La boîte en métal, remplie de cendres chaudes, tenait lieu de chaufferette, épargnant ainsi ses orteils …

            Chaque année, un photographe offrait ses services de village en village, ainsi , elle put immortaliser son nouveau statut devant le bonhomme sous son drap noir qui lui avait recommandé de ne pas bouger, et elle ne bougea pas ! c’est tout juste si elle osait  respirer !
            En cet instant, sans doute, cette factrice de subrogation pensait elle déjà à la phrase qu’elle aimait à redire ?

                        « De fermière, je suis devenue une femme de Lettres ! »

Maïté

Eté 1984. Camping de Seilhac. Emplacement 160.
Coincé sous la caravane, j’attends. Mon petit chéri va-t-il bientôt me retrouver ?
En tout cas sous le véhicule,  je suis protégé des coups de soleil, c’est déjà ça. Ma peau blanche ne le supporterait pas.
Je suis né dans une manufacture, au milieu des années 70, au milieu de plein d’autres frères et sœurs, comme un poussin parmi une douzaine ou un chiot dans une portée. Mon père adoptif (hé oui, avant de naître j’ai connu l’abandon, mais je n’ai pas souffert car je ne savais pas ce que c’était)…mon second père donc, tenant un magasin de jouets, j’ai grandi au milieu de poupées, d’avions, de marionnettes ; il y en avait pour tous les goûts. Pourtant je ne pouvais pas y toucher, même si il n’y aurait eu aucun risque que je les abîme… hé oui, j’ai aussi connu la privation, mais quand on ne connait pas ce que c’est d’avoir, on n’en souffre pas trop.

Mon adolescence, je ne m’en souviens plus très bien, mais c’est à cette période, un jour de Noël en particulier, où mon cœur a fait boum. Je l’ai trouvé. Il m’a découvert. On s’est tout de suite aimé.
Il m’a emmené partout avec lui. J’ai pu parcourir le Monde : Sa maison tout d’abord, ses jardins secrets ensuite et même son école, mais en cachette car les gens comme moi n’y ont pas droit d’accès.
Pour les vacances, c’était la mer en été et la montagne en hiver.
J’étais là pour toutes les premières fois : la plongée sous l’eau, la première brasse, le premier flocon, la première chute sur des skis. Des joies.
Mais aussi des peines : les conflits avec ses parents, sa solitude à l’école, la mort de son grand-père qu’il aimait tant.
J’étais toujours là.
A chaque fois, il était là dans ce fauteuil, toujours à côté de moi
A chaque fois, il était pelotonné contre moi, quand j’étais seul dans ce grand lit froid
Malgré cela, je suis là, tout seul dans ou sous cette caravane. Je l‘attends.

C’était un accident. Il m’a fait tomber par inadvertance. Sur le lit replié de la caravane, j’ai dû ricocher et je suis tombé. Le vent m’a fait rouler et je finis prisonnier, incapable de crier. Oui, quand on n’est pas vivant, difficile d’exprimer ses émotions.
Il a dû me chercher longtemps, c’est sûr il a même pleuré très longtemps et puis il a dû se résigner.
A contrecœur, il n’a pas eu d’autres choix que de m’abandonner. Et moi, à l’époque, je n’ai pas eu le choix que de l’attendre, de l’espérer.
J’étais son cocorico, son piti poussin blanc, son ami, son confident.
Mais comme cette recherche aurait duré plus de 30 ans, quelqu'un d’autre m’a retrouvé. Je me suis fais ramasser, laver, renommer. Puis je vais aller dans les bras d’un autre, pour le consoler, pour l’accompagner.
Car il y a plusieurs vies dans la vie pour les objets comme nous.
Notre biographie n’est que la copie carbone de l’enfant qui nous porte.

Dur dur la vie de doudou !
Fabien Thueux

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