En Ethiopie
Belle
inconnue, j’aime ton visage, ton regard surtout, tourné vers la lumière, un visage un peu triste chargé d’attente, d’espérance
peut-être.
Je ne sais
ce que tu attends adossée à cet immense mur brut qui accapare la lumière de la
fenêtre, accordant à ta frimousse juste la part nécessaire aux reflets de tes
pensées.
Qu’attends-tu ?
Qu’espères-tu ? Quel A-venir traversera l’ombre des barreaux vers lesquels
tu tournes ton regard. Tu attends… à la fois confiante et inquiète.
En ce lieu
de solitude, te sens-tu prisonnière, vêtue de ce camaïeu de roses : Un
châle fleuri rehausse le grain de ta peau brune faisant jouer ombres et tâches
de lumière sur ton visage….
As-tu froid
dans ton gilet prune ? Ta main abandonnée souplement sur ton genou, semble dire le
contraire… Tu attends.
Assise sur
un lit garni d’une cotonnade froissée dont l’imprimé prolonge le foulard qui
dissimule ta chevelure, une part de ton intimité tenue secrète, peut-être selon la tradition de ton pays ?…
Tu attends …
Quel
verdict inconnu, quel évènement heureux augure ce silence qui t’enveloppe ? Es-tu
la promise de quelque homme dont tu ne connais pas encore le visage et pour lequel tu n’oses encore rêver de bonheur ?…
Maïté
Je rêve
Sur la photo, elle se tient droite du haut de ses quatre ans. Il me semble qu’à l’époque, on empesait les vêtements car sa robe bien blanche, elle aussi tient tout droit. Elle a des souliers de petite fille sage et bien élevée avec un bouton sur le côté. Un grand nœud ferme le bandeau qui retient ses cheveux longs. Bien que la photo soit en noir et blanc, on devine que ses yeux sont clairs. Son regard est serein. Elle fixe le photographe avec assurance.
Mais le saviez-vous ? Son
nom est clairement juif. Même si, prononcé en français, il signifie banalement
« hier ».
Hier justement, on a emmené son
oncle et son père qui dirigent l’usine. Sa maman ne dort plus. Sa maman qui lui
a dit : « Si ! Tu feras cette photo et papa sera fier quand il
rentrera. »
Sur la photo, elle a grandi. Elle
a maigri. Les années ont passé. Tous ne sont pas rentrés.
Sur la suivante, elle est au côté
d’un homme. Son mari, je crois. On m’a dit qu’ils s’étaient beaucoup aimés. Que
pour lui, à l’époque, ce n’était pas facile d’être « l’époux de Madame ».
Et qu’elle avait feint de lui obéir bien des fois. Oui, il paraît qu’en ce
temps-là, les femmes savaient encore donner l’impression que l’homme est
omnipotent et que la femme (même forte) se fait un devoir de lui obéir.
Car le saviez-vous ? Dans la
France d’alors, une femme demandait l’autorisation de travailler à son mari et
n’avait pas de compte en banque.
Sur la photo, elle se dresse
seule dans l’hémicycle. Et ce qui me frappe, c’est qu’elle semble encerclée
uniquement par des hommes. Elle se dresse face à eux, un peu comme sur sa photo
d’enfance, fière et traquée. Elle tient un papier mais ce sont eux qu’elle fixe
de son regard clair. Elle va parler. Elle affronte même les hommes de son
propre camp politique. Elle va plaider, plaider pour toutes les femmes. Elle va
gagner, elle va gagner pour toutes les femmes.
Vous le savez maintenant. C’est
d’elle dont je parle car en notre temps d’apparente parité, je n’oublie jamais
ce que nous devons à toutes ces femmes. Les actuelles ministres, mes sœurs en
féminité, me désolent bien souvent. Elles sont si fades…
Je rêve d’une nouvelle Simone qui
se dresserait tapant du poing sur la table. Je rêve d’une femme Présidente.
Enfin, je rêve quoi !
Inès-Marie
Petite biographie
Au fond
d’une vieille boîte à chaussures usée
par le temps, gisait un tas de photos sépia dont la poussière des années
accentuait l’ancienneté.
Juliette,
fermant les yeux, y plongea une main hésitante comme elle l’aurait fait pour
tirer un lot dans l’urne de la kermesse du village.
Tenant une
carte qu’elle caressa du pouce, elle ouvrit lentement les yeux tout en
continuant silencieusement de son pouce
à effacer la poussière de cette photo du début des années 1900 :
Un gros
chien est attelé à une carriole stationnée devant un bâtiment, certainement une
école, où des enfants derrière la fenêtre observent la scène.
Près de la
carriole, une femme d’une cinquantaine d’années regarde fixement devant elle,
une main posée sur la ridelle du chariot.
Juliette tente d’identifier l’héroïne emmitouflée
dans une grande cape noire qui alourdit la silhouette, le visage bien rond, peu
expressif sous sa capuche ; ses traits sont calmes, juste un peu figés, peut-être par le froid dû à la neige qui recouvre le sol.
Juliette
cherche des indices… C’est forcément quelqu’un de sa famille, une ancêtre. Ce regard noir, elle l’a déjà vu …
La carriole
est munie d’un banc avec dosseret ; à l’emplacement des pieds gît une
boîte en métal. Elle remarque une grosse sacoche en cuir semble-t-il, portée en
bandoulière par … Ca y est ! c’est son arrière grand-mère dont on lui a si
souvent parlé !
Une femme courageuse qui a dû remplacer son mari facteur en
ce début de siècle.
Dans la
région de Pithiviers, à cette époque, on
portait le courrier de ferme en ferme, à pied et ce, par tous les temps, ce qui
avait valu à ce malheureux Jules d’être amputé des orteils.
Vaillante,
sa femme – avec l’accord de l’Administration , magnanime – avait pris le relai
pour les deux années manquantes afin de valider une retraite aussi attendue que
méritée…
Comme ses
jambes, déjà criblées de rhumatismes ne répondaient pas à ses attentes, on lui
avait aménagé cette voiturette ? La boîte en métal, remplie de cendres chaudes,
tenait lieu de chaufferette, épargnant ainsi ses orteils …
Chaque
année, un photographe offrait ses services de village en village, ainsi , elle
put immortaliser son nouveau statut devant le bonhomme sous son drap noir qui
lui avait recommandé de ne pas bouger, et elle ne bougea pas ! c’est tout
juste si elle osait respirer !
En cet
instant, sans doute, cette factrice de subrogation pensait elle déjà à la
phrase qu’elle aimait à redire ?
« De fermière, je suis devenue une femme de Lettres ! »
Maïté
Mon adolescence, je ne m’en souviens plus très bien, mais c’est à cette période, un jour de Noël en particulier, où mon cœur a fait boum. Je l’ai trouvé. Il m’a découvert. On s’est tout de suite aimé.
Eté 1984. Camping de Seilhac. Emplacement 160.
Coincé sous la caravane, j’attends. Mon petit chéri va-t-il
bientôt me retrouver ?
En tout cas sous le véhicule, je suis protégé des coups de soleil, c’est
déjà ça. Ma peau blanche ne le supporterait pas.
Je suis né dans une manufacture, au milieu des années 70, au
milieu de plein d’autres frères et sœurs, comme un poussin parmi une douzaine
ou un chiot dans une portée. Mon père adoptif (hé oui, avant de naître j’ai
connu l’abandon, mais je n’ai pas souffert car je ne savais pas ce que c’était)…mon
second père donc, tenant un magasin de jouets, j’ai grandi au milieu de
poupées, d’avions, de marionnettes ; il y en avait pour tous les goûts.
Pourtant je ne pouvais pas y toucher, même si il n’y aurait eu aucun risque que
je les abîme… hé oui, j’ai aussi connu la privation, mais quand on ne connait
pas ce que c’est d’avoir, on n’en souffre pas trop.
Mon adolescence, je ne m’en souviens plus très bien, mais c’est à cette période, un jour de Noël en particulier, où mon cœur a fait boum. Je l’ai trouvé. Il m’a découvert. On s’est tout de suite aimé.
Il m’a emmené partout avec lui. J’ai pu parcourir le
Monde : Sa maison tout d’abord, ses jardins secrets ensuite et même son
école, mais en cachette car les gens comme moi n’y ont pas droit d’accès.
Pour les vacances,
c’était la mer en été et la montagne en hiver.
J’étais là pour toutes les premières fois : la plongée
sous l’eau, la première brasse, le premier flocon, la première chute sur des
skis. Des joies.
Mais aussi des peines : les conflits avec ses parents,
sa solitude à l’école, la mort de son grand-père qu’il aimait tant.
J’étais toujours là.
A chaque fois, il était là dans ce fauteuil, toujours à côté
de moi
A chaque fois, il était pelotonné contre moi, quand j’étais
seul dans ce grand lit froid
Malgré cela, je suis là, tout seul dans ou sous cette
caravane. Je l‘attends.
C’était un accident. Il m’a fait tomber par inadvertance.
Sur le lit replié de la caravane, j’ai dû ricocher et je suis tombé. Le vent m’a
fait rouler et je finis prisonnier, incapable de crier. Oui, quand on n’est pas
vivant, difficile d’exprimer ses émotions.
Il a dû me chercher longtemps, c’est sûr il a même pleuré
très longtemps et puis il a dû se résigner.
A contrecœur, il n’a pas eu d’autres choix que de
m’abandonner. Et moi, à l’époque, je n’ai pas eu le choix que de l’attendre, de
l’espérer.
J’étais son cocorico, son piti poussin blanc, son ami, son
confident.
Mais comme cette recherche aurait duré plus de 30 ans, quelqu'un
d’autre m’a retrouvé. Je me suis fais ramasser, laver, renommer. Puis je vais
aller dans les bras d’un autre, pour le consoler, pour l’accompagner.
Car il y a plusieurs vies dans la vie pour les objets comme
nous.
Notre biographie n’est que la copie carbone de l’enfant qui
nous porte.
Dur dur la vie de doudou !
Fabien Thueux
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