Couleur Lilas
Au sortir de l'hiver, toujours, on
rencontre des odeurs qui lancent leur ballet dans les champs, les jardins, les
parterres trop rares des rues, les parcs et les forêts. Renouvellement des
tiges et des feuilles qui s'élancent à l'assaut du printemps, bourgeons éclos
qui s'enthousiasment et offrent aux narines leurs premières senteurs.
C'est le lilas que je préfère. L'odeur est
parfois un peu forte pour les bouquets, entêtante dans les pièces trop fermées.
J'aime le lilas du dehors, au coin du jardin, dans les branches qui élancent
vers le ciel leur besoin de printemps. C'est la fin des gelées et des pluies
verglacées, les jours s'allongent et les sourires aussi. Les oiseaux tissent
leurs nids paille après paille, les jardiniers retrouvent leurs outils au bord
des lilas à l'odeur insistante.
Je ne me lasse pas d'y goûter et je la
sais fugace. Voluptueuse, elle m'égare sur des sentiers lointains, des chemins
creux chargés d'enfance. J'attendais l'odeur des prairies, du foin coupé, le
bruit des guêpes et le goût du soleil sur la peau. Un lilas blanc près de la maison annonçait la
fin des froids, des pluies et des tristesses. Je guettai la venue de jours
meilleurs et quand s'ouvrait le lilas, je savais qu'allait enfin venir le temps
de la douceur.
J'avais tant besoin de pâquerettes à
effeuiller en disant : « Je t'aime, je ne t'aime plus, je
t'aimerai encore, j'aimerais t'aimer toujours », besoin de jouer au soleil se couchant sur la
rade, en regardant le lilas blanc qui fanait toujours trop vite.
Pourquoi les fleurs sont-elles si
éphémères et pourquoi nos peaux rident-elles aussi vite ? Pourquoi
faut-il toujours se cogner à la mort ? La litanie des pourquoi de
l'enfance résonne longtemps au cœur de nos vies. Ce qu'il faut de jours et de
douleurs pour tenter d'y répondre avant
d'apprendre à renoncer !
Pourquoi graver tous ces mots pour tenter de
raconter les parfums, les couleurs, les musiques et les chants de
l'espoir ? A ciel ouvert, loin des
futurs qui nous finissent, il y aura longtemps encore, je l'espère, des odeurs
de lilas pour nous aider à oublier le
retour de l'inévitable froid.
Cathy
Libres et insouciants,
inconscients de cet héritage légué par nos ancêtres inscrits dans nos gènes, les
gestes sont naturels et font corps avec la nature. Arc-boutés sur le sol
entre deux lancers de fruits sur son voisin, l’ambiance entre les compères est
très joyeuse : peut-être en prévision des soirées arrosées qu’il en
découlera.
L’année dernière, les forces
de l’ordre se sont arrêtées, partageant l’authentique et la rigolade.
A-t-elle de la jambe, a-t-il
bien pensé à enlever la tête, la queue ?
En tout cas, l’alambic est
prêt, cuivré et rutilant mais déjà culotté par ses années de service.
Mais il faudra patienter
quelques mois avant de sentir les effluves de la nature domptée.
Car toute la quintessence,
tout l’élixir seront concentrés dans une goutte. D’ailleurs tout n’est que
goutte : goutte de rosée, goutte de pluie, goutte de jus, goutte de sueur
et première goutte d’alcool.
Parfumée comme si l’on
croquait dans un fruit : ça c’est l’aboutissement parfait : on se
transforme en « Grenouille » dans Le Parfum de
Süskind : maître alchimiste envoûté par sa propre création, partant dans
un délire créatif et olfactif que rien n’arrête.
Sauf qu’à 20 ans, on refait
les gestes du grand père : celui qui détient encore le droit de bouillir,
celui qui parfumait la région d’une odeur enivrante de fruits, aidé du
bouilleur de cru. Celui là même qui collectionne les années en
bouteilles : année 67, 68, 70 : les bonnes et les ratées : ces
dernières serviront à désinfecter les plaies...sauf s’il fait vraiment trop
soif !
Essence, élixir ou
nectar : il ne reste juste qu’à prêter l’oreille au cri de joie du copain
qui vient de finir sa première cuve de mirabelle dont on sent le parfum alcoolisé
mais oh combien fruité et sucré : « elle est divine » !!!!
Albane Vincent
Pas besoin d’être à ses côtés pour ressentir ses effets. Son
souvenir évoque le plaisir, la joie, mais certaines peaux s’en irritent,
allergiques.
Avant de l’atteindre, on peu entendre ses anges
annonciateurs, un chant lancinant qui peut passer pour une plainte aigue, interprétée
par des envergures blanches dans le ciel, des ailes nobles, malgré l’absence d’auréole.
Plus on l’approche et à l’horizon s’efface la hauteur de la
ville, sa jungle et ses buildings, pour laisser place au plat de ses vallées, à
ses herbes discrètes et sèches, à sa terre jaune et légère.
Dès qu’on ouvre sa fenêtre, elle nous prend et nous enrobe, on
sent alors sur sa peau son haleine, une brise fraîche et piquante, l’esquisse
de son parfum : un mélange de végétal, de la salive de ses habitants et de
sa terre brassée, torréfiée, moult et moult fois au fil de ses nombreuses allées
et venues.
Enfin, la voiture s’arrête, on n’y tient plus. On descend,
on court, on vole vers elle sans se préoccuper de s’enfoncer dans le sol mou
qu’elle imbibe. On évite ses tranchées humides, on esquive ses épis, on
provoque la fuite des âmes tranquilles qui l’entourent. Et à ses pieds, on se
prend tout en pleine face. Un florilège, un spectacle : l’iode, le cri des
mouettes, le sable mouvant, le vent salée et surtout elle.
La Mer. La Manche
L’Immensité bleue grise, qui relie la Normandie à
l’Angleterre
La Manche,… qu’on voit danser le long des golfs clairs…de
Cabourg
Fabien Thueux
Byzance
Le cœur palpitant de Byzance. Un
dédale de ruelles, des étals débordants, des tissus qui enveloppent l’air
chaud et masquent l’horizon de plus en plus étroit. Les heurts. Les pieds qui
trébuchent sur des pavés invisibles, le déséquilibre permanent, des corps que
l’on ne voit pas dans une foule compacte et mouvante, une marée bruyante de
bras, d’épaules que l’on effleure ou qui se cognent, les voix que l’on entend
et que l’on ne comprend pas, entre harangue et rire. Le bruit du sang qui
tambourine aux tempes.
Des visages inconnus qui
s’agrippent à mes yeux. Visages usés par le soleil et le travail. Visages ridés
et enfantins. Visages cachés par des voiles flamboyants. Une mèche argentée
s’en échappe parfois.
Une main que l’on serre fort, si
fort qu’on en a mal. Une main qui guide, qui sauve. Qui empêche de disparaître.
La lumière brule les yeux. Elle
est partout, sur les murs pleins de poussière, sur les bijoux aux pierres
scintillantes, sur le cuir enivrant des sacs, sur les peaux des poissons
fraichement péchés qui brillent comme des diamants. Impression étrange que tout
devient précieux, envoutant, riche. Des montagnes de poudre ocre, vermeil, de
bâtons de cannelle et d’étoiles de badiane. Profusion des couleurs, multitude
des sons auxquels se rajoutent au loin le chant d’un muezzin et le bruit du
trafic, signe qu’on se rapproche du Bosphore.
Quelques personnes assises sur
des sièges de fortune se désaltèrent d’un thé brulant en jouant aux
échecs.
La main se perd. L’air ne sort
plus de mes poumons. Tomber nez à nez
avec un sac rempli de sangsues. Partir. Sortir du marché. Tête qui tourne, les
narines saturées. Ne plus savoir si c’est un parfum ou une puanteur, odeurs de
tout, de peaux, d’épices, de thé, de sueur, de soleil et de poissons. Je suis
ivre.
Au loin, les pécheurs à la ligne
côtoient les embouteillages sans s’en soucier. Des perles d’eau scintillent le
long de leurs fils.
La main se pose sur mon épaule et
une voix familière me demande si ça va.
Carole Guéville
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