Le génie de Thomas Couture
n’a d’égal que son manque abyssal de reconnaissance.
Petit, trapu, noir de cheveux
et le regard renfrogné, il jette sur le monde un regard tranchant, vif, sectaire.
A ses yeux, n’a de valeur que
celui qui est au dessus du lot, celui qui marque.
Dans ses œuvres, quelque soit
son statut, son modèle, celui qui reçoit toute son estime de peintre et d’homme
est celui qui sera marqué de rouge.
Pas n’importe quel
rouge : un rouge profond, velouté, chaleureux, entier, unique... tel
une signature sanguinolente, il nous livre l’être qu’il met sur un piédestal.
Par la puissance de son art,
il soumet lui même son modèle en le marquant du fer carmin.
S’engage alors une danse entre
l’auteur et l’œuvre où l’on ne sait qui mène le bal, qui prend le dessus sur
l’autre. L’œuvre échappe à son maitre et inversement.
C’est ainsi le seul peintre,
disait Bisetsky, qui puisse habiller Notre Seigneur, parce qu’aucun d’eux ne
pouvait peindre sa robe sans couture... rouge - cela va sans dire !
Albane Vincent
Paris, le 20 Avril 1887.
Tu sembles dormir.
Tu es morte.
L’année dernière, les visiteurs du Salon ont tous applaudi le
réalisme du tableau de Fernand. Quand je le lui ai commandé, je n’imaginais pas
qu’il parviendrait à rendre à ce point la beauté de ton visage déjà figé. Mon
dessein était autre. Il a respecté jusqu’aux plis du corsage blanc dont je t’ai
revêtue. Ton joli bras repose sur le sol, ta lividité y est lumière.
« C’est digne d’une photographie ! se sont exclamés
les uns. Quelle technique ! ont clamé les critiques. Quel drame ! » ont ajouté les
âmes sensibles, en lisant sur le cartel que tu es « La victime ou l’asphyxiée. »
J’aimerais leur hurler ce que ne révèle pas le tableau :
ta voix quand tu voulais obtenir quelque chose de moi. Tes cheveux qui ne
tenaient jamais en place, s’échappant du chignon et que tu ramenais d’un geste
gracieux. Ta peau satinée, ton corps soyeux. Tes yeux amande que j’ai moi-même
fermés.
Mais cela, peut-être peuvent-ils l’imaginer…
Ma mise en scène alliée au talent du peintre, le poêle que
l’on devine à tes pieds et ton teint grisâtre, prouvent que ses émanations
t’ont assassinée. Oui, tout signe que le criminel serait la fatalité !
Mais, toi et moi savons bien qu’il n’en
est rien et que la main qui trace ses lignes est celle qui t’a tuée.
Inès-Marie Ambre
« La victime ou l’asphyxiée » 1886
de Fernand Pelez. Musée d’Art et d’Archéologie de Senlis
Pas besoin de luxe ou de matériaux précieux, juste de l’âme, du cœur, un peu de peinture et un zeste de Ripolin suffisent. Des couleurs chatoyantes, une représentation de la nature à l’allure abstraite, du travail, des astuces et de la modestie, cette femme de ménage avait tout d’une artiste.
Vierge à l'enfant
Au musée de Senlis, comme dans beaucoup de musées, on a peu à
toucher, car c’est interdit, mais on a beaucoup à voir.
De la maquette de la cathédrale gothique, le modèle original
situé juste à côté, en guise de comparaison, aux tableaux de la Renaissance
plus ou moins réalistes, représentant des portraits de femmes et d’hommes, que
l’on pourrait croiser dans le quartier… en guise de comparaison.
Des sous-sols romains, d’un ancien temps, aux œuvres de
Séraphine Louis de notre temps.
L’art est à la portée de toutes les bourses, même des
moindres, pourvu qu’on ait du talent.
Pas besoin de luxe ou de matériaux précieux, juste de l’âme, du cœur, un peu de peinture et un zeste de Ripolin suffisent. Des couleurs chatoyantes, une représentation de la nature à l’allure abstraite, du travail, des astuces et de la modestie, cette femme de ménage avait tout d’une artiste.
Heureusement
qu’on lui a rendu hommage : un titre posthume, un prix, un film en 2009
jusqu’à une exposition ici à Senlis, sa ville. Une personne dira même d’elle « Senlis
a sa légende, Senlis a Séraphine ». Et ce ne sont pas les trois lapidaires qui
rigolent qui me diront le contraire.
Fabien
Vierge à l'enfant
Au Musée, dans la
tour de la Chapelle des Anges, il est une « Vierge à l'Enfant »
datant de 1340, une statue de marbre blanc rehaussé de dorures, cadeau d'un
Pape à l'abbaye de Senlis.
Les yeux de la mère
semblent clos comme si elle ne voulait pas voir ce qui va se passer et ça se
comprend. Déjà qu'elle ne l'a pas vu arriver, cet enfant qu'un Ange lui
annonça : « Veux-tu être la mère du fils de Dieu ? »
Pouvait-elle refuser ?
Elle
a un air doux, cette Marie aux yeux clos qui porte sur son bras gauche un
enfant potelé et souriant, comme
s'il ignorait l'avenir et les croix dressées sur les chemins de Judée. Marie
porte une robe au drapé satiné et ses longs doigts tiennent un objet sacré.
J'aurais aimé voir son regard. Y aurais-je vu de la peur ou seulement de
l'amour et la fierté d'être une mère qui porte son enfant comme les autres ?
Elle sait bien
pourtant que celui-là ne ressemblera à aucun autre. Elle ne devine pas encore
qu'il sera la source d'une religion millénaire provoquant les Croisades et les
Inquisitions. Il n'a jamais voulu cela, son fils, son petit qui s'amuse dans
ses bras. Si c'était à refaire, elle dirait peut-être à l'archange Gabriel
d'aller se faire voir, de proposer à une autre d'enfanter pour un monde
meilleur. Pour l'instant, elle est là, blanche et radieuse, mère au manteau à
plis dorés qui porte le fruit de ses entrailles et ferme les yeux pour ne pas
voir le triste monde. Elle rêve, se laisse griser par la douceur des images
intérieures, ignorant qu'un jour ses statues orneront les églises.
Je me souviens d'une
« Vierge à l'Enfant » vêtue de bleu et blanc dans un village breton
où l'on venait de loin, pour le
pardon du 15 août. Celle-là portait une couronne, elle avait les yeux ouverts et
pendant l'office, je ne la quittais pas du regard. On m'avait dit qu'il fallait
lui parler, qu'elle faisait des miracles et qu'on venait de partout pour la
prier. Son manteau bleu scintillait sous le plafond étoilé. Elle
m'apaisait ; je préférais nos conversations au discours du vieux curé qui
racontait toujours la même chose et ne trouvait pas le chemin de mon cœur
d'enfant.
La Marie blanche de
la Tour des Anges me replonge dans un passé lointain où les questions se
bousculaient et les réponses étaient rares. Il a bien fallu quitter les
calvaires et les pardons, les traditions au goût moisi pour arpenter d'autres
routes où les vierges ne sont jamais mères...et c'est tant mieux !
Cathy
SERAPHINE
LOUIS Les Raisins,
vers 1915
Ripolin sur bois.
Dépôt du musée national
d’Art Moderne
Centre
Pompidou Paris 1973
Les Raisins de Séraphine est une peinture sur bois réalisée vers 1915,
avec du Ripolin.
Pourquoi des raisins? Existait-il des vignes à
Senlis ?
Avait-elle vu du raisin dans des coupes à fruits,
chez ses riches employeurs ?
Avait-elle déjà mangé du raisin?
C’est peu probable. Elle est connue pour avoir vécu
dans la pauvreté une grande partie de sa vie. Elle est d’ailleurs morte dans un
asile, seule et oubliée.
La peinture est expressive, fond bleu pâle sur la
partie haute du tableau et bleu violine lumineux dans la partie basse.
Le pied et les tiges de la grappe sont d’un vert
franc et les grains de raisins ne sont ni noirs, ni violets ni bleu foncé, leur
pourtour légèrement rouge bordeaux. Ils sont satinés.
Ce mélange de couleurs est harmonieux et tonifie le
tableau.
Il donne envie de saisir la grappe et de manger les
raisins.
Séraphine peint la nuit, par terre avec les couleurs
qu’elle a elle-même confectionnées ou qu’elle a achetées à la droguerie de
Senlis.
Le jour, elle est femme de ménage. Comment, sans
connaissance de l’art de la peinture, a-t-elle pu réaliser autant de toiles si
colorées, si détaillées, si réalistes !
Pourquoi ai-je choisi le raisin ? Sûrement parce que j'aime le bon vin...
Hélène
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