dimanche 25 janvier 2015

Ecrire au musée

Le génie de Thomas Couture n’a d’égal que son manque abyssal de reconnaissance.
Petit, trapu, noir de cheveux et le regard renfrogné, il jette sur le monde un regard tranchant, vif, sectaire.
A ses yeux, n’a de valeur que celui qui est au dessus du lot, celui qui marque.
Dans ses œuvres, quelque soit son statut, son modèle, celui qui reçoit toute son estime de peintre et d’homme est celui qui sera marqué de rouge.
Pas n’importe quel rouge : un rouge profond, velouté, chaleureux, entier, unique... tel une signature sanguinolente, il nous livre l’être qu’il met sur un piédestal.
Par la puissance de son art, il soumet lui même son modèle en le marquant du fer carmin.
S’engage alors une danse entre l’auteur et l’œuvre où l’on ne sait qui mène le bal, qui prend le dessus sur l’autre. L’œuvre échappe à son maitre et inversement.

C’est ainsi le seul peintre, disait Bisetsky, qui puisse habiller Notre Seigneur, parce qu’aucun d’eux ne pouvait peindre sa robe sans couture... rouge - cela va sans dire !
Albane Vincent

Paris, le 20 Avril 1887.
Tu sembles dormir.
Tu es morte.
L’année dernière, les visiteurs du Salon ont tous applaudi le réalisme du tableau de Fernand. Quand je le lui ai commandé, je n’imaginais pas qu’il parviendrait à rendre à ce point la beauté de ton visage déjà figé. Mon dessein était autre. Il a respecté jusqu’aux plis du corsage blanc dont je t’ai revêtue. Ton joli bras repose sur le sol, ta lividité y est lumière.
« C’est digne d’une photographie ! se sont exclamés les uns. Quelle technique ! ont clamé les critiques.  Quel drame ! » ont ajouté les âmes sensibles, en lisant sur le cartel que tu es « La victime ou l’asphyxiée. »
J’aimerais leur hurler ce que ne révèle pas le tableau : ta voix quand tu voulais obtenir quelque chose de moi. Tes cheveux qui ne tenaient jamais en place, s’échappant du chignon et que tu ramenais d’un geste gracieux. Ta peau satinée, ton corps soyeux. Tes yeux amande que j’ai moi-même fermés.
Mais cela, peut-être peuvent-ils l’imaginer…
Ma mise en scène alliée au talent du peintre, le poêle que l’on devine à tes pieds et ton teint grisâtre, prouvent que ses émanations t’ont assassinée. Oui, tout signe que le criminel serait la fatalité !
Mais, toi et moi savons bien qu’il n’en est rien et que la main qui trace ses lignes est celle qui t’a tuée.
Inès-Marie Ambre

« La victime ou l’asphyxiée » 1886 de Fernand Pelez. Musée d’Art et d’Archéologie de Senlis





Au musée de Senlis, comme dans beaucoup de musées, on a peu à toucher, car c’est interdit, mais on a beaucoup à voir.

De la maquette de la cathédrale gothique, le modèle original situé juste à côté, en guise de comparaison, aux tableaux de la Renaissance plus ou moins réalistes, représentant des portraits de femmes et d’hommes, que l’on pourrait croiser dans le quartier… en guise de comparaison.
Des sous-sols romains, d’un ancien temps, aux œuvres de Séraphine Louis de notre temps.

L’art est à la portée de toutes les bourses, même des moindres, pourvu qu’on ait du talent.


Pas besoin de luxe ou de matériaux précieux, juste de l’âme, du cœur, un peu de peinture et un zeste de Ripolin suffisent. Des couleurs chatoyantes, une représentation de la nature à l’allure abstraite, du travail, des astuces et de la modestie, cette femme de ménage avait tout d’une artiste.

 Heureusement qu’on lui a rendu hommage : un titre posthume, un prix, un film en 2009 jusqu’à une exposition ici à Senlis, sa ville. Une personne dira même d’elle « Senlis a sa légende, Senlis a Séraphine ». Et ce ne sont pas les trois lapidaires qui rigolent qui me diront le contraire.

Fabien

Vierge à l'enfant


     Au Musée, dans la tour de la Chapelle des Anges, il est une « Vierge à l'Enfant » datant de 1340, une statue de marbre blanc rehaussé de dorures, cadeau d'un Pape à l'abbaye de Senlis.

     Les yeux de la mère semblent clos comme si elle ne voulait pas voir ce qui va se passer et ça se comprend. Déjà qu'elle ne l'a pas vu arriver, cet enfant qu'un Ange lui annonça : « Veux-tu être la mère du fils de Dieu ? » Pouvait-elle  refuser ?
Elle a un air doux, cette Marie aux yeux clos qui porte sur son bras gauche un enfant  potelé et souriant, comme s'il ignorait l'avenir et les croix dressées sur les chemins de Judée. Marie porte une robe au drapé satiné et ses longs doigts tiennent un objet sacré. J'aurais aimé voir son regard. Y aurais-je vu de la peur ou seulement de l'amour et la fierté d'être une mère qui porte son enfant comme  les autres ?

      Elle sait bien pourtant que celui-là ne ressemblera à aucun autre. Elle ne devine pas encore qu'il sera la source d'une religion millénaire provoquant les Croisades et les Inquisitions. Il n'a jamais voulu cela, son fils, son petit qui s'amuse dans ses bras. Si c'était à refaire, elle dirait peut-être à l'archange Gabriel d'aller se faire voir, de proposer à une autre d'enfanter pour un monde meilleur. Pour l'instant, elle est là, blanche et radieuse, mère au manteau à plis dorés qui porte le fruit de ses entrailles et ferme les yeux pour ne pas voir le triste monde. Elle rêve, se laisse griser par la douceur des images intérieures, ignorant qu'un jour ses statues orneront les églises.

     Je me souviens d'une « Vierge à l'Enfant » vêtue de bleu et blanc dans un village breton où l'on venait de loin,  pour le pardon du 15 août. Celle-là portait une couronne, elle avait les yeux ouverts et pendant l'office, je ne la quittais pas du regard. On m'avait dit qu'il fallait lui parler, qu'elle faisait des miracles et qu'on venait de partout pour la prier. Son manteau bleu scintillait sous le plafond étoilé. Elle m'apaisait ; je préférais nos conversations au discours du vieux curé qui racontait toujours la même chose et ne trouvait pas le chemin de mon cœur d'enfant.

     La Marie blanche de la Tour des Anges me replonge dans un passé lointain où les questions se bousculaient et les réponses étaient rares. Il a bien fallu quitter les calvaires et les pardons, les traditions au goût moisi pour arpenter d'autres routes où les vierges ne sont jamais mères...et c'est tant mieux !

     Cathy


SERAPHINE LOUIS      Les Raisins, vers 1915
                         Ripolin sur bois.
Dépôt du musée national d’Art Moderne
                           Centre Pompidou  Paris 1973

Les Raisins de Séraphine est une peinture sur bois réalisée vers 1915, avec du Ripolin.
Pourquoi des raisins? Existait-il des vignes à Senlis ?
Avait-elle vu du raisin dans des coupes à fruits, chez ses riches employeurs ?
Avait-elle déjà mangé du raisin?
C’est peu probable. Elle est connue pour avoir vécu dans la pauvreté une grande partie de sa vie. Elle est d’ailleurs morte dans un asile, seule et oubliée.
La peinture est expressive, fond bleu pâle sur la partie haute du tableau et bleu violine lumineux dans la partie basse.
Le pied et les tiges de la grappe sont d’un vert franc et les grains de raisins ne sont ni noirs, ni violets ni bleu foncé, leur pourtour légèrement rouge bordeaux. Ils sont satinés.
Ce mélange de couleurs est harmonieux et tonifie le tableau.
Il donne envie de saisir la grappe et de manger les raisins.
Séraphine peint la nuit, par terre avec les couleurs qu’elle a elle-même confectionnées ou qu’elle a achetées à la droguerie de Senlis.
Le jour, elle est femme de ménage. Comment, sans connaissance de l’art de la peinture, a-t-elle pu réaliser autant de toiles si colorées, si détaillées, si réalistes !

Pourquoi ai-je choisi le raisin ? Sûrement parce que j'aime le bon vin... 
Hélène

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