Hommes, femmes et enfants déambulent lentement en une foule
dense, parmi les marchands de toutes sortes, en ce souk casablancais riche de couleurs
et senteurs. Un tambourin au rythme assourdi
donne l’accord au pipeau dans un brouhaha discret encore un peu étouffé.
Des cercles de badauds se forment autour des animations. Les
sons plus hardis, plus éloquents des musiciens – les rythmes deviennent plus
frénétiques, entraînent les gestes du charmeur de serpents qui excite ses
reptiles, et attisent de petits cris d’orfraies chez les spectatrices.
Les derniers arrivés jouent des coudes, allongent le cou, se
dressent sur la pointe de leurs babouches, pour glisser un regard entre les
djellabas poussiéreuses. Le marchand d’eau agite sa clochette se frayant un
espace favorable à sa vente…
Assis à même la poussière, les amoureux d’histoires
fantastiques attendent patiemment, devant le tabouret encore vide, l’arrivée du
conteur. Ils connaissent ce théâtre sans décors, sans accessoires. Théâtre
réduit pour le moment à un tabouret en bois qui impose patience et silence. Ils
attendent. Bientôt il sera là, celui, qui, pendant plus d’une heure, saura les envoûter.
Il les fera voyager vers des palais, des villes fortifiées. Ils vivront des
combats, des chevauchées héroïques. Ils partageront les réjouissances de grands
seigneurs et de belles princesses vêtues de damas cramoisi et de fils d’or ,
leurs banquets somptueux., oubliant pour un temps la grisaille du quotidien,
leur fatigue, leurs soucis, saoulés de mots et d’images, les yeux pleins de
rêves.
- :- :- :- :- :- :-
Que fais-tu, fillette, dans cette cohue étouffante de
chaleur et de poussière ?
Tu passerais presque inaperçue si la curiosité vivace de tes
regards n’attirait l’attention des vendeurs et des acteurs qui t’apostrophent.
Le porteur d’eau en te bousculant te libère du sourire aimanté du charmeur de
serpents qui te fascine et t’effraie à la fois.
Te voilà devant le marchand de douceurs. Mais tu n’as pas
d’argent ! Sont-ce tes beaux yeux noirs ou ton épaisse chevelure de
boucles brunes qui descendent sur tes épaules – ou simplement l’attendrissement
que l‘on accorde à un enfant qui émeut le vendeur ? Il t’offre un petit
gâteau au miel bien tentant mais tu n’oses avancer la main.
Te voilà debout, parmi les badauds assis en cercle autour du
tabouret encore vide. Tu cherches timidement une petite place devant. Tu évites
les regards trop intimidants. La fumée qui s’échappe de quelques pipes de Kif
te fait tousser… On te remarque !
Enfin tu es assise par terre en tailleur. Tu recouvres
pudiquement tes genoux avec ta jupe. Vite, vite que viennent ces histoires,
celles qui te font rêver ou nourrissent des peurs le soir dans ton lit, celles
déjà entendues avec ta grand-mère !
Tu frissonnes, coquine, à
l’évocation de ton aïeule… Si elle te savait seule en ce lieu ? Quelle
raclée tu recevrais ! Tu te rassures : elle fait la sieste, ce
moment est sacré. C’est le temps où tu
te permets bien des interdits !
Ah ! le voilà ! Il
s’assied sur le tabouret avec des gestes lents, indifférent semble-t-il à
l’enthousiasme des spectateurs qui l’accueillent ! Tu as soif. Mais comme
tu n’as pas d’argent, tu avales ta salive… L’assistance fait silence. Le
conteur se recueille, prend son temps. L’assistance est suspendue à ses lèvres, elle attend…
Soudain dans ce calme un bruit de calèche résonne non loin de là. Ton cœur
s’agite, s’échauffe : et si grand-mère s’était réveillée ?
Maïté
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