samedi 17 décembre 2016

Travel / Travelling

LE TRANSPORT

Il fait froid, le soleil va pointer son nez et tout est en sommeil.
« Ah! enfin, le voilà! »
Je monte les trois marches, je me dirige tout au fond, loin de la porte, loin du froid du dehors.

Le moteur gronde pour redémarrer.
Il y a toujours de l'animation au fond : les anciens jouent à la belote sur une tablette posée sur les accoudoirs. Ils sont toujours en forme, ceux-là ! « Atout cœur ! T'es sûr ? Ton partenaire a intérêt à avoir du jeu ! Tu plaisantes ? Avec ce que j'ai dans les mains, je vais te mettre capot ! »... Et ainsi de suite,  jusque l'arrivée.
Moi, j'ai pas envie de les écouter, ce matin. Je m'enfonce dans le siège, emmitouflée dans ma veste. Laissant mon regard dehors et mon cerveau dans mon lit.
D’ailleurs, certains passagers se sont endormis, la tête contre la fenêtre. Ils ne savent pas comment s'installer, vu le nombre d’arrêts. Les freins grincent pour chacun. On s’arrête tous les trente mètres. A croire que ce vieux bus va rendre l’âme à chaque fois...

Mais les « bonjours » et les rugissements vont bientôt se terminer. On sort de la ville. Le dernier rond-point.
Et là, enfin, le moteur vibre d'envie de vitesse et je respire de soulagement : « Il n'est pas tombé en panne ! »

Le doux ronronnement berce les dormeurs.
Là se suivent les petits bouts de forêts et les champs labourés. La route est droite. Elle n'est pas ponctuée de carrefours. Un grand fossé de chaque coté. Impossible de faire demi-tour ou de s'arreter.
J’essaie de voir un biche et ses faons. C'est l'époque de la chasse...
Devant, le chauffeur baisse un peu le store. Il est aveuglé par le soleil qui se lève. La brume s'épaissit au dessus d'un champ.

« Capot ! Alors qui avait raison ? » s'écrit un joueur. Un des passagers, à coté, leur dit de parler moins fort.
Un faucon pèlerin, posé sur un poteau, nous suit du regard, impassible. Une maison isolée semble vide. Le chauffeur ralentit et tourne pour entrer dans le village. 
Les joueurs se calment un peu. Les dormeurs commencent à bouger. Je remets ma cravate en place.
J’espère qu'il n'y a pas de voiture en face. Ce pont est si petit. Va-t-on passer dessous sans accro ? Le chauffeur accélère pour monter la petite côte après le pont...

« Ouf, on est passé » me dis-je, en prière ! Le chauffeur ralentit pour passer les petits ralentisseurs devant l'école du village. On est presque arrivé. Plus personne ne dort. Chacun sort son badge. Dans un dernier effort, le bus se présente devant la barrière de la base.
On est arrivé.

TRAVELLING
Les spectateurs se redressent ensemble.
Un bruit de galop se fait entendre.
Le script lit le scénario, impassible.

Soudain, des hommes se mettent à crier et leurs chevaux à hennir.
Un nuage de poussière traverse les rangs de spectateurs.

Le script cache le scénario dans sa veste.
Madame, avec son grand chapeau de star, s'enfuit en toussant, jurant de ne plus assister aux scènes qui ne la concernent pas.
Et ce cher réalisateur... Debout aux pieds de sa chaise, il applaudit à la vision de cette scène : « C'est grandiose! Magnifique ! Je crois qu'on tient le jackpot ! C'est la scène du siècle ! »

« Mouais... Dans son enthousiasme, il oublie qu'il est plein de poussière ! Que le matériel est fichu ! Il va me falloir nettoyer tout ça pendant des heures ! » grogne le cameraman. « Et ces chevaux, frustrés de ne pas avoir galopé plus longtemps, piétinent nerveusement le sol ! On ne voit plus rien ! Quelle idée de filmer ici !.. » 

vous voyez une scène de galop,
je vois une scène de poussières

vous voyez une scène d'action,
je vois une scène comique

vous voyez ce qui se passe devant la caméra,
je vois ce qui se passe derrière.
Cathy Jaspart

samedi 3 décembre 2016

Thanatologie

Un parfum végétal me sort de mon sommeil, j’ouvre les yeux. Une haute porte en ogive est ouverte et permet à la lumière d’entrer dans la pièce où je me trouve. Rien n’accroche mon regard ici, les murs sont indiscernables, le sol en terre humide et un clapotis occupe l’espace sonore. Une envie irrépressible m’oblige à me lever et à sortir. Devant cette grande porte en bois démarre un couloir d’eau sombre. Le son cristallin des vaguelettes d’eau vient de là et résonne dans une vaste grotte. Je m’immerge naturellement et descends une pente douce et puis je n’ai plus pied. Je me sens bien dans cette eau un peu fraîche. Un puits de lumière permet à une maigre végétation de survivre près des berges. Une impression étrange et furtive retient mon attention  : ce plafond en galets luisants défie les lois de la physique. Ces pierres couvertes d’eau sont en apesanteur ? Mais l’insouciance me gagne, j’oublie. Irrémédiablement je nage vers l’autre bout de la salle. Le couloir se prolonge dans un tunnel, je nage. Rien ne peut être plus important. Je nage… je nage toujours… apaisé, insouciant… léger, je suis l’eau qui chemine dans ce tunnel…
Hélène Marchand-Cury