dimanche 9 avril 2017

1947

Le soleil darde intensément, sur la grande place rouge de poussière en ce début d’après midi…

Hommes, femmes et enfants déambulent lentement en une foule dense, parmi les marchands de toutes sortes, en ce souk casablancais riche de couleurs et senteurs. Un tambourin au rythme  assourdi donne l’accord au pipeau dans un brouhaha discret encore un peu étouffé.

Des cercles de badauds se forment autour des animations. Les sons plus hardis, plus éloquents des musiciens – les rythmes deviennent plus frénétiques, entraînent les gestes du charmeur de serpents qui excite ses reptiles, et attisent de petits cris d’orfraies chez les spectatrices.

Les derniers arrivés jouent des coudes, allongent le cou, se dressent sur la pointe de leurs babouches, pour glisser un regard entre les djellabas poussiéreuses. Le marchand d’eau agite sa clochette se frayant un espace favorable à sa vente…

Assis à même la poussière, les amoureux d’histoires fantastiques attendent patiemment, devant le tabouret encore vide, l’arrivée du conteur. Ils connaissent ce théâtre sans décors, sans accessoires. Théâtre réduit pour le moment à un tabouret en bois qui impose patience et silence. Ils attendent. Bientôt il sera là, celui, qui, pendant plus d’une heure, saura les envoûter. Il les fera voyager vers des palais, des villes fortifiées. Ils vivront des combats, des chevauchées héroïques. Ils partageront les réjouissances de grands seigneurs et de belles princesses vêtues de damas cramoisi et de fils d’or , leurs banquets somptueux., oubliant pour un temps la grisaille du quotidien, leur fatigue, leurs soucis, saoulés de mots et d’images, les yeux pleins de rêves.

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Que fais-tu, fillette, dans cette cohue étouffante de chaleur et de poussière ?

Tu passerais presque inaperçue si la curiosité vivace de tes regards n’attirait l’attention des vendeurs et des acteurs qui t’apostrophent. Le porteur d’eau en te bousculant te libère du sourire aimanté du charmeur de serpents qui te fascine et t’effraie à la fois.

Te voilà devant le marchand de douceurs. Mais tu n’as pas d’argent ! Sont-ce tes beaux yeux noirs ou ton épaisse chevelure de boucles brunes qui descendent sur tes épaules – ou simplement l’attendrissement que l‘on accorde à un enfant qui émeut le vendeur ? Il t’offre un petit gâteau au miel bien tentant mais tu n’oses avancer la main.

Te voilà debout, parmi les badauds assis en cercle autour du tabouret encore vide. Tu cherches timidement une petite place devant. Tu évites les regards trop intimidants. La fumée qui s’échappe de quelques pipes de Kif te fait tousser… On te remarque !

Enfin tu es assise par terre en tailleur. Tu recouvres pudiquement tes genoux avec ta jupe. Vite, vite que viennent ces histoires, celles qui te font rêver ou nourrissent des peurs le soir dans ton lit, celles déjà entendues avec ta grand-mère !
Tu frissonnes, coquine, à l’évocation de ton aïeule… Si elle te savait seule en ce lieu ? Quelle raclée tu recevrais ! Tu te rassures : elle fait la sieste, ce moment  est sacré. C’est le temps où tu te permets bien des interdits !

Ah ! le voilà ! Il s’assied sur le tabouret avec des gestes lents, indifférent semble-t-il à l’enthousiasme des spectateurs qui l’accueillent ! Tu as soif. Mais comme tu n’as pas d’argent, tu avales ta salive… L’assistance fait silence. Le conteur se recueille, prend son temps. L’assistance  est suspendue à ses lèvres, elle attend… Soudain dans ce calme un bruit de calèche résonne non loin de là. Ton cœur s’agite, s’échauffe : et si grand-mère s’était réveillée ?

Maïté

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