mardi 21 mars 2017

L'absente

C’est une photo comme hors du temps. Elle dépasse d’un livre dans la bibliothèque. L’y avais-tu laissée par inadvertance ? Volonté de me blesser ?

N’empêche : quelqu’un d’autre la regarderait, il ne saurait dire qui tu es. Tes vêtements sans âge, ton allure neutre, même le paysage qui t’entoure semble vouloir se cacher. Un bord de mer, le clapotis des vagues, une mouette qui ne te craint pas. Toute proche et qui s’éloigne pourtant. Comme toi qui es loin déjà, tournant le dos à notre vie. Tu le sais sans doute. Moi pas encore.

Je reconnais la patte de Paul qui aimait tant ces clichés d’instants volés. Parfois les dimanches, on les mélangeait sur la table basse devant la cheminée. Nos verres y marquant des auréoles. Tu pointais une des photos au hasard. Lui prenait l’air mystérieux. Et moi, je devais deviner où vous étiez, quel âge vous aviez… Déjà moi, toujours moi à la question ! Et je craignais de me tromper, de voir tes yeux foncés se froncer.

Si j’avais dû vous répondre pour celle-ci, je me serais raccroché à la valise que tu tiens négligemment, à la douce lumière qui fait briller tes cheveux auburn et à la brise qui les soulève. C’est sûrement le printemps, des vacances à Pâques ? Ta valise est légère, le ciel clair.

Mais aujourd’hui tout me taraude ! Que regardes-tu ? A qui penses-tu ? A quoi ? Aux voyages que nous avions faits ? A ceux que nous nous étions promis de faire, avant d’y renoncer ? Ou bien ton esprit vogue-t-il vers cet ailleurs où je n’aurai pas ma place ?

N’empêche quelqu’un d’autre te regarderait, il ne remarquerait pas que tes mains sont crispées comme quand tu as froid ; que tout ton corps dit que tu hésites encore, quand tes pieds eux, ainsi positionnés, montrent que tu t’es arrêtée pour réfléchir. Moi je le sais. Et même je devine que tu t’apprêtes à te tourner vers Paul, à hausser les épaules, à lui jeter : «  Vite, vite ! Le bateau (ou l’avion), le taxi (ou le car), n’attendra pas ! Allons-y ! » Il aura alors rangé son appareil, t’aura aidée à porter ta valise. A sortir de ma vie.

C’est une banale photo hors du temps qui me fout le cafard. Soudain je hais les plages. J’aimerais tant te haïr toi. J’ai juste envie de chialer ! Oui, même banale, une photo te balance à la gueule l’instant qui n’est plus, ne sera jamais plus, le possible disparu. Elle te ravage la mémoire avec la vision d’un amour perdu.

Je remets la photo dans le livre. Je la replace bien droite pour qu’elle ne dépasse plus. Je tourne le dos à la bibliothèque. Comme toi sur cette plage.

Inès-Marie Ambre

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